Papote d’éditeur : Interview Les Editions Matin Calme par Cécile Pellault

Papote d’éditeur 

Interview Les Editions Matin Calme par Cécile Pellault

Par un matin d’hiver, enfiévrées, j’ai embarqué ma bibliothécaire tortionnaire préférée, Geneviève, en Corée ou pour être un peu plus précise, dans les locaux des Editions Matin Calme. Une maison d’édition que j’ai découvert , à la faveur d’un de mes posts Instagram sur les Planificateurs de Kim Un-Su et où ils m’annonçaient la sortie du prochain thriller de cet auteur, le 9 janvier 2020 chez eux.

Inutile de vous dire que cela me paraissait fort long et ils ont eu la gentillesse de me fournir en drogue polardeuse et coréenne plus tôt que prévu. J’ai donc lu en avant-première Sang Chaud de Kim Un-Su. Il ne m’a pas déçue bien au contraire et vous pouvez retrouver tous les détails sur cette excellente plongée dans la mafia de Busan sur le blog (lien vers la chronique Sang Chaud).

Pour ne rien gâcher, Pierre Bisiou et Irene Rondanini, les deux pilotes de Matin Calme ont eu la bonne idée de nous inviter, Geneviève et moi-même, à une présentation de leur nouvelle aventure et croyez-moi 2020 va être l’année du Polar Coréen. D’où notre escapade matinale de ce jour de novembre !

Par contre, enfiévrée je vous dis, j’ai loupé la moitié des réponses et je n’ai rien noté à part mon enthousiasme de lectrice  !!

Je les remercie donc aujourd’hui d’avoir bien voulu répondre à mes quelques questions pour vous permettre d’être aussi enthousiaste que moi pour l’année à venir !

Irene, Pierre, encore merci de vous prêter au jeu, et pour commencer, comment est né Matin Calme ?

L’an passé, Irene et moi étions encore (avec un troisième larron, Xavier Belrose), Le Serpent à Plumes, une maison d’édition qui publiait de la littérature contemporaine, française et du monde entier. Une maison qui venait de fêter ses 30 ans. Fin 2018, le groupe Média Participations choisissait malheureusement de mettre fin à son activité.

Or depuis quelques mois nous avions travaillé à un projet éminemment excitant, une collection de polars coréens ! La Corée n’était qu’un tropisme parmi d’autres de notre maison. Néanmoins la publication de quatre romans de Han Kang (dont La Végétarienne) nous avait sensibilisé à la nouvelle génération d’auteurs coréens. Par ailleurs, avec Kyungran Choi, je co-traduisais déjà des romanciers coréens tels que Kim Young-ha, Jeong You-jeong et, last but not least, Kim Un-su.

Courant 2018 j’étais tombé sur un article du Guardian tout à fait passionnant qui s’interrogeait : le K-Thriller, le Polar Coréen, serait-il la nouvelle vague après le Polar scandinave ? Les trois auteurs cités étaient Kim Young-ha, Jeong You-jeong et, last but not least, Kim Un-su. Ce fut le déclic. Pourquoi disperser ces auteurs dans de multiples maisons ? Il fallait au contraire les rassembler et construire un véritable projet éditorial autour de ces fabuleuses plumes coréennes. D’autant que très vite nous nous sommes rendu compte que la Corée débordait de talents dans ce domaine, la grande Seo Mi-ae, le trublion Do Jinki, etc.

Et quelques semaines plus tard, Parasite décrochait à Cannes la Palme d’Or. Cette fois nous en étions certains, nous étions sur la bonne vague.

Pourquoi le nom, Matin Calme ?  Moi, je sais,  mais je ne vais pas faire ma pénible 

Ah ! Ah ! Matin Calme, parce que c’est le nom de la Corée, le Pays du Matin Calme. Nous avons appris il y a peu qu’en réalité la traduction devrait être Pays du Matin Frais, mais cette erreur datant du XVIIe siècle et des premiers jésuites venus en Corée, nous nous en tenons à l’usage.

Et puis franchement, Matin Calme pour des thrillers sanglants, c’était assez plaisant de jouer le contraste.

Je suis une jeune… ou plutôt une nouvelle fan de la fiction coréenne. J’apprécie tout particulièrement qu’ils n’aient peur de rien et surtout pas du mélange des genres dont Parasite, la comédie sociale matinée de thriller sanglant et les Planificateurs de Kim Un-Su avec son tueur à gages éduqué dans une bibliothèque en sont les parfaits exemples. Quels sont selon vous les atouts de la fiction, et plus spécifiquement, du polar coréen ?

Le culot. Les auteurs coréens osent tout. Ils connaissent les romans et les films étrangers, mais ils n’ont pas encore pris le mauvais pli de dupliquer ce qui se fait aux USA, par exemple. Ils mettent dans leurs livres tout ce qui est typique de la Corée, un humour omniprésent, une façon de raconter précise et distancié, un goût prononcé pour les échanges sanglants (on raffole des règlements de compte au couteau à sashimi dans le pays de la haute technologie), et puis cette espèce de folie qui dérive parfois en pure farce, morbide ou jouissive.

Qui fait quoi dans votre duo ?

Pierre Brisou

Les tâches sont assez partagées mais Irene veille tout particulièrement au suivi des traductions, de la production, à tous les aspects juridiques aussi, contrats, cessions. Pour ma part je pilote l’éditorial. Nous nous secondons chacun assez bien il me semble.

Irene Rondanini

La traduction est le nerf de la guerre pour un roman étranger. Comment fonctionnez-vous ?

La qualité des traductions est notre première exigence. Or jusqu’à présent il n’y avait pas tant de littérature coréenne traduite, ou du moins, cela gardait un certain rythme paisible. D’un coup nous arrivons avec un programme colossal, explosif, géant ! En quelques mois nous avons absorbé tous les duos de traducteurs habituels. Et cela ne suffisant pas, nous avons mis le pied à l’étrier à de nouvelles vocations.

Il faut savoir que les traductions du coréen sont généralement effectuées par des binômes, d’une part un ou une Coréenne qui établit une première traduction du coréen vers le français, dans un français plus ou moins abouti, puis un ou une Française qui part de la version française pour rédiger, sous l’égide de son binôme, une traduction proprement littéraire et conforme à l’original, bien évidemment. Ce fonctionnement en duo nous donne beaucoup de souplesse dans le recrutement de nouvelles plumes.

Comment avez-vous choisi les auteures et les auteurs avec lesquels vous avez travaillé en 2020 ? Combien de sorties ?

Le tout premier auteur, emblématique de tout ce projet, c’est Kim Un-su.

Je l’ai connu grâce à Kyungran Choi qui, dès sa sortie en Corée, avait adoré son premier roman, Le Placard, un texte totalement loufoque. Nous l’avions d’ailleurs traduit ensemble en 2013. Comme nous avions traduit ensemble son second, Les Planificateurs, en 2016. Donc Kim Un-su et son Sang chaudc’est Matin Calme.

Deuxième auteur, une autrice, Seo Mi-ae.

Aparté. Les noms coréens ne donnent pas toujours une indication certaine du genre de la personne, c’est donc avec une grande surprise que nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure de nos acquisitions, que la quasi-totalité de nos romans étaient écrits par des femmes. Récemment un prof spécialiste de la Corée m’expliquait que le Polar ayant longtemps été un sous-genre en Corée, les femmes y étaient mieux tolérées que dans la « grande » littérature où, sauf exceptions, il fallait laisser la première place aux hommes. Résultat ? Elles ont investi ce genre pour en faire un instrument de révélation, de questionnement, donnant au polar coréen un aspect sociétal très marqué, souvent cruel, toujours bouleversant. Pardon, fin de l’aparté.

Donc une autrice, en mars, Seo Mi-ae et son Bonne nuit maman. Nous l’avons baptisé, Le Silence des Agneaux made in Korea. C’est en effet l’autrice elle-même qui utilise cette référence dès l’entame du livre. Mais ce thriller psychologique est aussi une exploration très sombre et douloureuse du manque d’amour, pire, de la maltraitance mère-enfant. Les trois protagonistes principaux de cette affaire n’ont pas reçu l’amour qu’ils réclamaient dans leur enfance de leur mères, avec en prime des pères absents. C’est une interrogation qui touche au cœur du système coréen où toute une génération a été sacrifiée sur l’autel du développement économique. Seo Mi-ae a conçu ce roman comme le premier d’une trilogie. Elle nous apportera en mars le deuxième volume !

En juin nous aurons notre troisième titre, Le portrait de la Traviata, de Do Jinki. Lui, c’est aussi un sacré personnage, un quadra qui a déjà été magistrat puis avocat, avant de devenir l’auteur de deux séries de polars, l’une avec un avocat enquêteur, l’autre avec un magistrat… Pour la petite histoire, Do est également l’animateur d’un show de TV réalité soumettant des avocats à la question ! Bref, le livre ? Un tout autre style. Cette fois-ci, nous vous proposons un roman à énigme. Le meurtre d’une femme dans un immeuble. Son probable assassin retrouvé mort à ses côtés, dans son salon. Tout laisse supposer qu’il était son amant et qu’il l’a tué avant de succomber à ses blessures. Mais quand l’avocat Kodjin entre dans le dossier, les suspicions s’étendent peu à peu à tous les habitants de l’immeuble…

Comme je vous le disais, le Polar coréen est un genre en expansion vertigineuse. Pour le lancement de Matin Calme nous avons voulu présenter aux lecteurs différents aspects de cette littérature. Nous irons plus tard vers les polars historiques, même un peu de fantastique, en fait, pour le moment notre seule frontière aux polars coréens ce sont les zombis façon Dernier train pour Busan !!!

Quelles seront les autres dates importantes pour Matin Calme en 2020 ?

Outre la sortie de notre premier bébé le 9 janvier ?

Un second moment clef sera certainement Quais du Polar dans les premiers jours d’avril, à Lyon. Ce sera pour nous l’occasion de faire venir de Busan notre cher Kim Un-su et de Séoul cette précieuse Seo Mi-ae pour dix jours intenses à la rencontre du public, à Lyon donc, mais aussi à Paris, Lille, Strasbourg, Besançon et Bruxelles. Ce sera vraiment un évènement et notre impatience est immense. Plaisir doublé par le fait que la manifestation lyonnaise incontournable pour les fans de polars voyagera avec un Quais du Polar qui se tiendra à Séoul en 2020.

Troisième grande date de Matin Calme 2020, la sortie de Été, quelque part, des cadavres, mais, chut, je ne vais pas tout vous dévoiler si tôt…

Si vous en avez déjà discuté avec vos auteurs, que représente pour eux d’être édités en France ? Et que ressentent-ils face à leur réussite à accrocher, à faire frémir un public étranger à leurs histoires coréennes ?

Oui, nous en avions parlé plusieurs fois bien sûr. De fait entre mes premiers contacts avec eux et aujourd’hui, leur diffusion à l’étranger n’a cessé de croître, de façon spectaculaire. Hollywood a acheté les droits des Planificateurs, le tournage vient de s’achever, Sang chaud est également en cours d’adaptation au cinéma, les livres de Kim Un-su se vendent dans le monde entier et Bonne nuit maman de Seo Mi-ae s’est vendu dans douze pays lors de la foire de Francfort et sera adapté en série TV par Carnival Film, les producteurs de Downton Abbey. C’est un raz-de-marée coréen qui déferle sur le polar mondial !

Mais pour ces auteurs, comme pour Jeong You-jeong et d’autres encore, tout est parti et tout continue de partir d’ici, de France. C’est en France qu’ils ont connu leurs premiers succès, ce sont nos traductions françaises qui sont lues par les éditeurs étrangers, lesquels ne disposent pas encore de lecteurs coréens. C’est pourquoi la réussite en France de ces écrivains est essentielle aujourd’hui pour leur carrière à l’étranger. Sans compter que bien sûr la France reste pour eux une magnifique terre de littérature. Et ils connaissent nos auteurs classiques, même si dans le cas des polars ils sont plus imprégnés d’œuvres japonaises ou anglo-saxonnes.

Etes-vous vous-mêmes surpris face à l’enthousiasme des futurs lecteurs, lectrices, libraires et autres partenaires ?

Totalement. Pas du tout surpris de l’accueil fait à nos livres quand ils sont lus. Non, pour cela nous étions certains de proposer du solide, de la qualité, des auteurs que les lecteurs adoreraient. En revanche la surprise a été de découvrir à quel point la Corée avait ses fans en France ! Des fans de K-Pop, des fans de gastronomie coréenne, de taekwondo, des fans de e-games, partout, dans tous les secteurs nous avons découvert des amoureux de ce pays. C’est une surprise et un grand plaisir. Cela nous permet nous aussi de mieux comprendre, surtout d’envisager plus globalement la Corée. Chaque enthousiasme est partagé et ouvre à son tour de nouvelles portes vers de nouvelles découvertes. C’est assez fabuleux à vivre.

Et vous, quels types de lecteur, lectrice, êtes-vous ?

Compulsif et sans limite. Je ne suis pas particulièrement lecteur de polars ni de quoi que ce soit de précis, je goûte à tout, romans, poésie, thrillers, essais. De tous pays et de toutes époques. Il faut se laisser guider par la curiosité si l’on veut faire des découvertes. Dernièrement j’ai lu une étiquette sur un plat préparé qui ressemblait au scénario d’un crime parfait !

Et puis bien sûr nous lisons aussi à titre professionnel, les publications de nos confrères dans le domaine coréen, par exemple Le Jardin, de Pyun, paru chez Rivages Noir. Et ce qui nous est envoyé en anglais par des agents ou des éditeurs coréens.

Une adresse coréenne à Paris ou en région, un film, une série, un livre sans compter les vôtres à dévorer, un lieu à visiter absolument en Corée, à nous donner ? Oui, je fais mon marché et j’en conçois peu de honte 

Un restaurant ? Ils sont nombreux à Paris, personnellement j’aime bien déjeuner au Soon, rue Jean Mermoz, ou dîner chez Kwon, rue Cresson. Mais il faudrait aussi citer toutes les bonnes adresses du 15e arrondissement.

Un lieu coréen en France, c’est à Paris, le Centre Culturel Coréen qui vient d’emménager rue de Miromesnil, dans un ancien hôtel particulier. Désormais il y a une grande cuisine où vous pouvez vous former aux recettes coréennes, des salles d’expositions, un auditorium avec une programmation très riche mais surtout, surtout, une bibliothèque qui regroupe plus de 40 000 ouvrages coréens ou sur la Corée, une mine, un trésor.

Un film ? Je ne vais tout de même pas dire Parasite… Alors Old boy, fascinant, dérangeant, l’essence même du thriller coréen que nous mettrons à l’honneur chez Matin Calme.

Une série, voyons, en ce moment je me délecte de Kingdom, sur Netflix, miam, une série médiévale peuplée de zombis affamés, un régal.

Un lieu à visiter en Corée ? Allons, les quartiers populaires de Busan, sans hésiter et en hommage à Kim Un-su. Bâtis sur d’anciens bidonvilles, tortueux à souhait, ils sont la parfaite illustration de cette créativité un peu folle et farce et profonde de la Corée.

Et pour conclure, que peut-on vous souhaiter à vous et à vos auteurs pour les semaines, les mois à venir ?

Des lecteurs et lectrices comme vous, comme nous, passionnés et qui aiment partager leurs passions.

Merci une nouvelle fois à Irene et à Pierre de s’être prêtés au jeu des questions et des réponses ! J’espère quant à moi vous avoir donné envie de me suivre dans mes aventures coréennes ! Je reviendrai de toute façon régulièrement pour vous allécher avec mes découvertes. Et pour finir, souhaitons une jolie aventure à Matin Calme et à ses auteures et auteurs !

 

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